Article publié initialement dans Le Cercle Les Echos
Ou comment passer de la gestion des risques à la gestion des opportunités ? La gestion des risques est sans aucun doute depuis quelques années l’un des termes les plus utilisés dans le monde des affaires.
La gestion des risques est sans aucun doute depuis quelques années l’un des termes les plus utilisés dans le monde des affaires. Si la pratique est (très) ancienne (c’est le métier de base des banquiers et des assureurs), elle a pris une dimension nouvelle depuis le début des années 2000 (avec les nombreuses faillites frauduleuses survenues aux États-Unis) et encore plus depuis le début de la « crise » qui a éclaté en 2007.
Ainsi, selon une étude réalisée en 2010 par AON au niveau mondial, près de 30 % des sociétés disposaient d’un « Chief Risk Officer » (CRO) et près de 70 % d’entre elles s’étaient dotées d’un département de gestion des risques. De très nombreuses études portant sur les risques sont également publiées (en générale de manière annuelle) par divers organismes (cabinets d’audits internationaux, sociétés de conseil, éditeurs de logiciels, assureurs – et courtiers –, dont l’objectif premier est le plus souvent de vendre des produits/services [assurances, outils de reporting, méthodologies…] permettant de gérer – notamment via des mécanismes de réduction et de transfert – lesdits risques. La gestion des risques a donc pris une ampleur conséquente, qui va bien au-delà de sa sphère d’influence traditionnelle [la banque et l’assurance]. Cette situation n’est pas absurde.
Tout d’abord, la responsabilité juridique des personnes physiques et morales ne cesse de s’étendre [le fameux « café trop chaud » à plusieurs centaines de milliers de dollars de McDonald’s – http://www.jtexconsumerlaw.com/V11N1/Coffee.pdf –]. Par ailleurs, les sociétés se sont fortement internationalisées au cours de ces 30 dernières années, s’exposant ainsi de plus en plus en autres au risque de change.
Elles se sont également fortement endettées ce qui n’a pas été sans conséquence sur le risque de crédit et le risque de taux. Conséquence directe de ces deux facteurs [internationalisation et endettement], le marché des produits dérivés [ce que l’on pourrait appelé le « marché du risque », même si ce n’est pas le seul] a connu une croissance exponentielle depuis 20 ans : d’après une étude réalisée en 2007 par la Deutsche Borse , la valeur notionnelle des produits dérivés non parvenus à échéance dans le monde a progressé approximativement en moyenne de 24 % par an sur la seule période 1995-2007.
La Banque des règlements internationaux estimait quant à elle que la valeur notionnelle de l’ensemble des produits dérivés non parvenus à échéance dans le monde au 30 juin 2011 représentait un montant de près de 708 000 milliards de dollars [à titre de comparaison le PIB mondial annuel est d’environ 60 000 milliards de dollars]. Par ailleurs, il ne fait presque aucun doute que les scandales financiers survenus au début des années 2000 aient laissé des traces dans les esprits…
Le risque est donc au cœur de toutes les discussions. Mais à trop parler de risques [dans le sens négatif du terme – même si de nombreuses organisations définissant le risque comme étant un événement aux conséquences potentiellement positives et/ou négatives, la connotation du terme reste dans la culture occidentale très négative], ne risque-t-on pas de passer à côté de belles opportunités du simple fait de notre potentielle incapacité à envisager les challenges qui se posent à nous sous un autre angle que celui d’événements ayant un impact potentiellement négatif sur l’atteinte des objectifs ?
À ce titre, le débat actuel en France sur les « gaz de schiste » est très intéressant : les débats se sont tout de suite focalisés sur les dangers potentiels de cette technique d’extraction, alors qu’une formidable opportunité s’offrira sans doute à celui qui sera capable d’inventer une méthode d’extraction de ces gaz qui ne représentera pas un danger pour l’environnement. Je pense que nous sommes ici tous un peu victime de ce que les psychologues appellent le « biais de cadrage » [framing en anglais] : nous abordons le monde [et donc les challenges qui se posent à nous] dans un cadre qui correspond à celui de notre éducation, culture, environnement professionnel…
Or nous avons bien vu que le « cadre » actuel laisse une place prépondérante au risque [les médias amplifiant encore le phénomène en nous présentant davantage les mauvaises nouvelles que les bonnes]. Sans doute serait-il tant de reformuler le paradigme que nous nous imposons. Au lieu d’immédiatement envisager les risques liés à une innovation, sans doute serait-il préférable de se focaliser de prime abord sur les opportunités qu’elle est susceptible d’offrir.
Comme le soulevait très justement Jacques Attali dans l’une de ses interventions télévisées : « aurions-nous inventé l’électricité si nous avions su combien de décès une telle invention allait entraîner ? » La question mérite d’être posée, pour que nous passions de la « gestion des risques » à la « gestion des opportunités ».
Pour aller plus loin, voir « gestion des risques et contrôle interne : de la conformité à l’analyse décisionnelle [Vuibert 2013]. Sur Amazon à : http://www.amazon.fr/Gestion-risques-contr%C3%B4le-interne-d%C3%A9cisionnelle/dp/2311004999/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1366890294&sr=8-1&keywords=frederic+cordel.
Voir une chronologie interactive des fraudes financières [en anglais] à : http://embed.verite.co/timeline/ source=0AuY7yHPBB2CxdGZ6aXY2RzNzYjFKeXpiN1hJWFE4X0E&font=Bevan-PotanoSans&maptype=toner&lang=en&height=650
En savoir plus sur http://archives.lesechos.fr/archives/cercle/2013/04/25/cercle_71358.htm#35wqTe2p7MxkjOeR.99